Interview 5-Plus Dimanche (1st April 2007)

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Christina Chan-Meetoo: «La presse ne prend plus au sérieux les menaces du Premier ministre»

Par Michaëlla Seblin


Cette chargée de cours en communication à l’Université de Maurice dit ce qu’elle pense des récents propos du chef du gouvernement. Celui-ci s’en est pris aux médias et, plus particulièrement, aux radios privées.


Q : Comment réagissez-vous aux propos du Premier ministre quand il déclare, la semaine dernière à Triolet, vouloir mettre de l’ordre dans les médias ?

R : D’abord, ce n’est pas nouveau. Les menaces du PM contre la presse arrivent de manière assez régulière. Ça l’énerve apparemment et le pousse à faire certaines déclarations. À mon avis, cela fait partie de sa stratégie globale. C’est-à-dire faire de temps en temps des rappels pour mener la presse dans le chemin que lui, en tant que PM, veut que les journalistes prennent. Tous les politiciens l’ont fait avant lui. C’est presque dans l’ordre des choses sur la scène politique locale. C’est normal de leur point de vue, mais ce n’est pas normal dans une démocratie aboutie. Cela dit, je crois que la presse ne prend plus au sérieux les menaces du PM car, à chaque fois qu’il y a eu menace, il n’y a pas eu grand-chose de fait.

Q : Le chef du gouvernement s’en prend surtout aux radios privées qui, selon lui, font de la démagogie. Comment analysez-vous sa réaction ?

R : Cela fait un peu partie de notre folklore que le Premier ministre réagisse ainsi. Mais du point de vue scientifique, on ne peut pas être tout à fait d’accord avec lui. Il est vrai que la presse n’est pas parfaite, mais on ne peut nier que depuis l’émergence des radios, il y a quand même un élargissement, une certaine amélioration de la démocratie…

Q : Deux radios privées fêtent ce mois-ci leurs cinq ans d’existence. Qu’est-ce qu’elles ont apporté de concret dans le paysage audiovisuel de Maurice ?

R : Il y a eu une contribution positive. On ne peut le nier. C’est un gros progrès. Cela dit, ce n’est pas trop difficile de progresser par rapport à la MBC. On a élargi l’espace démocratique. Maintenant, on peut juger les paroles des politiciens, par exemple, dans les meetings. Les individus, d’une manière générale, ont voix au chapitre. Parfois, on fait un peu de populisme, de sensationnalisme. Et il y a encore des améliorations à faire. Le risque que je perçois, c’est que toutes les radios se ressemblent. D’ailleurs, on remarque que les programmations, par exemple, sont les mêmes. Elles font toutes de l’infotainment.

Q : Ne pensez-vous pas que la programmation reflète les besoins du public mauricien ?

R : Elle reflète en fait la majorité d’un public qu’on peut vendre aux annonceurs. Ce qui est relativement normal. Mais vu qu’il y a plusieurs acteurs, on aurait pu imaginer quelques innovations. Par exemple, j’aurais souhaité qu’il y ait une radio qui ressemble un peu plus à France Inter. Je ne dis pas qu’il faudrait qu’il n’y ait que des France Inter, mais il manque un appel à l’intelligence collective. Il y a certaines émissions qui sont bonnes, mais quand on prend la programmation de toute une journée, si on fait une analyse, il y a un tout petit pourcentage qui est consacré à l’info intelligente. Le reste, c’est la tchatche, la blague…

Q : D’un côté, le gouvernement critique les radios privées, de l’autre, les médias fustigent régulièrement la MBC considérée comme une boîte de propagande du gouvernement. Votre avis…

R : On ne peut quand même pas nier que la MBC est une boîte à propagande. Et d’ailleurs, même le directeur et le président de cet organisme le disent d’une manière quasi claire. On tombe presque de sa chaise en lisant les entretiens de ces deux personnes. Certes, d’un autre côté, on peut admirer leur honnêteté. Sauf qu’en tant que consommateur, mes poils se hérissent quand je regarde la télévision locale. C’est d’un niveau souterrain.

Q : Est-ce que cet antagonisme pouvoir-presse, et ce, quel qu’en soit le gouvernement, est une bonne chose ?

R : Dans une logique naturelle des choses, il doit toujours y avoir un certain antagonisme entre la presse et le pouvoir, et ce, quelle que soit la forme du pouvoir : politique, économique ou sociale. Cela dit, on constate une certaine ambiguïté. D’un côté, il y a des politiques qui, à travers leurs attachés de presse et conseillers, courent derrière les journalistes quand il y a des événements. De l’autre, ces politiciens s’attendent à ce que les radios privées soient un clone de la MBC. Mais je voudrais aussi dire quelque chose : il y a des journalistes qui sont très bons, mais je trouve qu’il y a parfois un manque d’audace et que certaines questions ne sont pas posées.

Q : Quelles sont les questions qui n’ont pas été posées ?

R : Par exemple, il y avait la retransmission d’une conférence de presse du Premier ministre et celle de son ministre des Finances avant le budget. Cet exercice avait été retransmis à la télévision. Il y avait la séance question-réponse et j’avais noté qu’une question qui, pour moi, sautait aux yeux, n’avait pas été posée. Elle concernait la philosophie économique du gouvernement sur la question du ciblage. Je pensais qu’on allait demander au gouvernement pourquoi il fait du ciblage dans certains secteurs et pas dans d’autres. Pour moi, c’était un moment opportun pour poser cette question. La réaction est que les journalistes étaient impressionnés par ces hommes du pouvoir.

Q : On pourrait dire que c’est facile pour vous de critiquer…

R. Laissez-moi me prendre à contre-pied. Je comprends les journalistes. C’est une catégorie de personnes dont beaucoup n’ont pas une formation pointue et ce, souvent sans condition de travail optimale. Je constate aussi qu’à Maurice, il n’y a pas un vrai soutien entre collègues dans la profession journalistique. C’est vrai qu’il y a maintenant une association, mais que devient-elle depuis sa création ? On n’en entend plus parler. Quand il y a eu menace du media commission bill, il y avait du tapage, et puis, plus rien. C’est vraiment dommage ! À l’étranger, il y a des syndicats de journalistes qui ont un certain poids. Quand il y a un journal qui va fermer ou encore quand il y a des bourdes journalistiques, il y a discussion sur l’éthique journalistique. À Maurice, les journalistes se rassemblent de temps en temps, quand il y a quelque chose, mais au-delà de cela, on n’est pas capable de mener une action forte. Ce qui fait la vulnérabilité de ce corps de métier.

Par Michaëlla Seblin

5 thoughts on “Interview 5-Plus Dimanche (1st April 2007)

  1. La presse ne prend plus au sérieux les menaces du Premier ministre

    Bien dis!!

    Je fais actuellement un devoir sur le debat autour du Press Council a Maurice..En lisant des anciens articles de presse pour les années 97,98,99, mone fatiguer lire combien fois l’actuel PM a menacé la presse! 🙂

    Le Mauricien, 26 jan 98
    Sortie de Navin Ramgoolam contre la presse

    Et le meme refrain continue 9 ans apres!!…Mo coire bizin changement now 🙂

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  2. Doesn’t the government have other things to worry about? inflation, unemployment, healthcare, education….

    Just my own opinion: the press in Mauritius is relatively under-developed. Most of the discussion is totally one side in the press – politics and very little of anything else.

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  3. La situation n’est guère complexe puisque le monopole est flagrant. Donc, il n’y a aucune discussion épineuse et il est tout aussi vrai de dire que les sujets tabous sont refoulés…A part des discussions intellectuelles flatteuses, les questions sont toujours posées et les réponses sont vaines.
    A bon entendeur salut!!!

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